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RANDOS PATRIMOINE

LE SIEGE DE VILLEFRANCHE

 

LA REDOUTE, LA FONT DE LA PERDIU, LE PLATEAU D’EN BULLA,

L'ORRI ET LA BATTERIE ESPAGNOLE

 

Une bonne montée initiale, mais la suite est sans difficultés.

Durée : 3h20

Départ et arrivée : Pont de la Porte de France à Villefranche de Conflent

Tarif : 22 €/participant (de 5 à 10)

Présentation

 

Fortifiée dès sa création ex-nihilo en 1092 sur décision du Comte de Cerdagne Guillaume-Raymond, Villefranche n'eut en définitive à connaître que trois sièges : celui de l'Infant de Majorque, désireux de reconquérir le royaume de son père, se brisa en 1374 sur la défense des villefranchois, qui avaient pris parti pour le Roi d'Aragon Pierre le Cérémonieux. Celui conduit en 1854 par l'officier français Bussy-Rabutin enleva sans coup férir une place devenue obsolète. Enfin, en 1793, Villefranche capitula sans gloire sous la canonnade de l'artillerie du Général Crespo, lors des campagnes de la Révolution Française.

 

La décapitation de Louis XVI, le 21 janvier 1793, avait soulevé une forte émotion en Espagne, et le peuple brûlait d'en découdre avec le français, de même manière que celui de France, électrisé par les diatribes enflammées de Danton, rêvait d'en faire de même, en sens inverse. Mais la réalité militaire était bien différente : ni l'une ni l'autre des armées n'était prête, en hommes pas plus qu'en matériel, et elles ne s'organisèrent véritablement l'une et l'autre que pendant le conflit. Si le commandement français était en pleine désorganisation (et la guillotine fonctionna abondamment pour sanctionner des généraux dont les performances avaient été, à tort ou à raison, jugées insuffisantes), la direction des troupes espagnoles fut confiée à un officier de la vieille école, Don Antonio Ricardos, plus proche de l'esprit de la chevalerie médiévale (il confia au commandant français de la citadelle de Bellegarde, qui venait de se rendre : "Cette guerre est une guerre d'amants, qui cessera aussitôt que les français seront devenus raisonnables") que de celui de la guerre moderne.

 

L'invasion commença donc de manière très prudente le 17 avril 1793 à Saint Laurent de Cerdans, en mettant à profit la sympathie de la population. Elle se poursuivit en remportant plusieurs victoires, mais avec beaucoup de tergiversations, ce qui laissa à l'armée française le temps de s'organiser et de se doter d'un commandement compétent. La progression espagnole fut ainsi bloquée devant Perpignan. Pour y remédier, Ricardos décida d'occuper le Conflent et la Cerdagne, ce qui lui permettait d'étirer son front et par suite les défenses françaises. Deux armées furent donc envoyées pour faire leur jonction, l'une attaquant Mont-Louis au départ de Puigcerda, l'autre, sous le commandement du Général Crespo, remontant la vallée de la Têt.

 

Le 3 août, les artilleurs espagnols occupèrent sans combat la crête d'en Bulla qui n'était pas gardée, installèrent leurs pièces, et commencèrent le bombardement de Villefranche, dans une configuration qui évoque Dien Bien Phu, même si ce fut, cette fois, beaucoup plus rapide.

 

Exaspérés par l'inertie des autorités militaires (les vieux capitaines de Mazy et de Paluze), plus enclines à négocier leur reddition qu'à se battre, quelques patriotes villefranchois "confisquèrent" deux pièces d'artillerie légère et les hissèrent, non sans mal, sur la croupe voisine de Badabanys, au Sud-Ouest, dans l'espoir de pilonner la position espagnole. Mais l'envoi par Crespo d'un détachement de voltigeurs mit un terme rapide à cette tentative héroïque et désespérée. Quelques heures plus tard, la ville et le fort de Villefranche capitulaient sans gloire, et presque sans combat. Des hauteurs de Campilles, au dessus du fort, une avant-garde des troupes du général Dagobert qui remontaient la Soulane à marche forcée pour rejoindre Mont-Louis et le débloquer, arrivait trop tard pour intervenir, et ne pouvait qu'assister à la reddition. Mais, quelques jours plus tard, les victoires françaises du col de la Perche (nuit du 27 au 28 août) et d'Olette (4 septembre) inversaient le sort des armes, et l'armée espagnole en déroute évacuait presque aussitôt Villefranche, à son tour sans combattre. Ainsi s'achevait le dernier des sièges que Villefranche ait eu à subir.

Description

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le départ se fait à Villefranche de Conflent devant la porte de France (celle située côté aval, vers Prades). Traverser (prudemment) la RN 116 et, presque en face, 20 m. à gauche d'un ancien arrêt de bus, prendre le sentier (indiqué "chemin des minerais") qui coupe au bout de quelques mètres le tracé de l'ancienne voie minière desservant jadis les fours de grillage de Corneilla et, au delà, évacuant le minerai des mines de Vernet et Sahorre.  Le chemin continue à monter bon train en offrant quelques points de vue intéressants sur les remparts de la cité fortifiée. La largeur et la régularité de ce sentier, et la qualité de ses murs de soutènement en pierre sèche, montrent qu'il ne s'agit pas de quelque desserte d'une exploitation agricole, mais d'un itinéraire tracé par l'armée pour permettre l'acheminement de pièces d'artillerie légère. Nous y reviendrons plus loin. Observer sur la droite une borne blanche en béton, délimitation d'une concession minière. On en verra une seconde plus haut.

 

A l'endroit où le sentier tourne à 90° sur la droite pour s'engager dans un vallon, s'avancer d'une dizaine de mètres sur la gauche jusqu'à un belvédère rocheux qui offre des vues plongeantes sur Ria. De l'autre côté de la vallée, juste en face mais plus haut, on distingue deux traits clairs dans la garrigue: il s'agit des murs de soutènement de deux chemins aménagés eux aussi par l'armée à la même époque et avec les mêmes caractéristiques que celui que l'on suit présentement.

 

Patrimoine et histoire

 

Le chemin franchit sur un pont de briques le canal de Bohère. Celui-ci, autorisé en 1863 par l'Empereur Napoléon III mais mis en eau seulement en 1879, est le plus long du département avec ses 42 kms (la longueur d'un marathon!). De Serdinya à Marquixanes, il se fraie laborieusement un passage à travers un relief tourmenté, ce  qui a entrainé au XXème siècle le remplacement de longs détours dans des vallées latérales par des siphons traversant la Rotja, le Cady (celui-ci oeuvre en 1933 de l'architecte Félix Mercader, futur Maire de Perpignan) et la Llitera. Il a permis d'arroser cette partie de l'ubac du Moyen et Bas Conflent, et de rendre injustifié le surnom de "boques axugues" (bouches sèches) donné aux habitants de Los Masos. Quelques plaques de terre retournée et quelques racines mises à nu en bordure du chemin enseignent que des sangliers se sont régalés de truffes.

 

Encore un peu plus haut se présente une fourche. Une croix dissuade de prendre la branche de droite et un panneau indiquant les "fortifications de Villefranche"  invite à choisir celle de gauche, qui traverse le vallon, et passe bientôt devant le porche d'une petite grotte, laquelle  a du servir de refuge depuis des temps immémoriaux, mais aussi, encore à notre époque, à en juger par les cendres de feux de camp. Vue sa situation, cette grotte correspond probablement à la résurgence d’une pette d’eau du torrent empruntant le vallon que l’on vient de traverser. Assez basse de plafond, elle bénéficie sur une dizaine de mètres d’un sol plat, ce qui en fait un abri commode. D’ailleurs, un muret en pierres sèches a été élevé à l’entrée pour réduire celle-ci. Le sentier quitte la pinède, retrouve la garrigue, et commence à monter en lacets

 

Près du sommet, une autre fourche indique sur la gauche un retour vers Corneilla, et sur la droite (c'est la direction à suivre) les "fortifications de Vauban", ce qui est inexact en ce qui concerne le grand architecte militaire de Louis XIV, lequel se trouve mis imprudemment à toutes les sauces depuis quelque temps. Encore quelques hectomètres, et le sentier débouche sur l'arrondi sommital, face à une balustrade en bois aménagée pour sécuriser la traversée du fossé de la redoute. A droite, un panneau porte un texte d'une inhabituelle qualité. Nous nous permettrons simplement une réserve sur l'attribution de la construction de cette petite fortification au second tiers du XIXème siècle. Nous nous en justifierons bientôt.

 

A droite en pénétrant, sur une paroi préalablement polie, un cartouche soigneusement gravé atteste pour l’éternité des amours entre Jeanne Albert et Joseph Marty, en 1889.

 

On observe les "virages à baïonnettes" caractéristiques de ces itinéraires de montagne tracés sur un modèle standard dans le cadre d'un programme ambitieux: au lieu d'aménager des épingles à cheveux pour faire tourner les affuts et prolonges d'artillerie à traction animale, avec le risque

de les voir dévaler la pente à la suite d'une fausse manœuvre, les virages ont été aménagés à angles aigus, sans arrondis, mais avec chaque fois une petite plate-forme juste en face. Celle-ci permettait d'avancer le matériel tracté, de dételer les bêtes de trait (et d'offrir à celles-ci un temps de récupération), et de les réatteler par l'extrémité opposée, ce qui évitait de procéder à une délicate rotation.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L'emplacement de la redoute au sommet d'une croupe a manifestement été choisi en raison des vues que celle-ci offre sur la vallée de la Têt en amont comme en aval, ainsi que sur les hauteurs en pente relativement douce de Sirach, par lesquelles avaient afflué les troupes espagnoles en 1793. Car cette redoute n'est pas due à Vauban, d'abord parce que la portée des pièces d'artillerie de ce temps était insuffisante pour un tel emplacement. Il faudra attendre deux siècles pour que, ici comme dans les Alpes, les tubes de canons rayés en acier moulé permettent de battre loin, et entrainent le développement de fortins secondaires d'altitude couvrant de leurs feux une place vaubanesque de fond de vallée (Briançon, en particulier). D'ailleurs, la redoute n'apparaît pas sur l'atlas des illustrations des "Campagnes de la Révolution Française dans les Pyrénées Orientales", ouvrage fondamental publié en 1861 par le Général Joseph-Napoléon Fervel.

 

 

Elle est donc du XIXème siècle. De quand plus précisément ? Il suffira probablement d'aller faire un saut aux archives du Génie, au fort de Vincennes, pour le savoir exactement. En attendant, on peut s'autoriser une hypothèse. Après le  drame de la guerre napoléonienne (la Guerra del Frances), les relations franco-espagnoles ont traversé une longue période dépourvue d'hostilité majeure, même si la France n'a jamais cessé de faire preuve d'ingérence, comme en témoigne l'étonnante épopée des "cent mille fils de Saint Louis" en 1823. Mais, à la fin du siècle, ces relations se crispent de nouveau, en raison de l'instabilité politique espagnole, et les soubresauts carlistes, les "pronunciamentos" en cascade, la perte de Cuba et des dernières colonies et les troubles sociaux préoccupent l'Etat Major français. Celui-ci voit également avec inquiétude les attentats anarchistes (le Président Sadi-Carnot est assassiné par l'italien Caserio en 1894) qui se multiplient dans toute l'Europe et qui pourraient faire "basculer" quelques états fragiles et en faire des ennemis potentiels de la France. C'est aussi l'époque où le Génie Militaire change radicalement de doctrine stratégique, après la "crise de l'obus torpille" qui avait révélé, en 1884, la faiblesse des forts "Séré de Rivière" face au pouvoir perforant des nouveaux projectiles à la mélinite. Les généraux Bergé et Zédé préconisent désormais une défense mobile, fondée sur la création de routes de montagne pour y déplacer à grande vitesse une artillerie légère, et de batteries temporaires susceptibles d'accueillir ces pièces au moment voulu. C'est donc probablement de ce temps que datent les réserves d'eau comme la Font de la Perdiu que nous verrons bientôt, les pistes sur la Soulane et la redoute, principalement destinée à empêcher une nouvelle installation sur le plateau de pièces de siège écrasant Villefranche de leur feu, comme cela avait été le cas en 1793.

 

La redoute est un modeste élément défensif, constitué d'un glacis de pierres destiné à contrarier la reprise de la végétation et à empêcher l'ennemi de s'approcher à couvert, d'un petit fossé annulaire dont l'escarpe et la contre-escarpe sont soigneusement appareillées en pierre sèche, d'un merlon à peu près circulaire équipé de banquettes de tir (les soldats montaient sur la marche supérieure pour viser et tirer, et redescendaient pour recharger à l'abri) sur presque toute sa circonférence, à l'exception, à l'ouest, d'une terrasse d'artillerie susceptible de recevoir une ou deux pièces légères et tirant à barbette, c'est à dire par dessus le parapet, sans créneau. Une rampe permettait de hisser sur la terrasse les pièces, dont on déduit, à la faible hauteur du parapet, que les affuts étaient très bas. Un gros rognon rocheux, sans doute dégagé par des terrassements, occupe le centre de la fortification et va, au sud-est, jusqu'à rejoindre le merlon, interdisant sur ce point l'installation de banquettes de tir et ramenant la place d'arme à un croissant.  Ce rocher a été creusé au pic pour l'aménagement d'une petite casemate que l'on imagine destinée à mettre à l'abri les munitions. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Comme veut la règle, cette poudrière disposait de deux ouvertures opposées, pour permettre, en cas d'accident, la sortie symétrique du souffle de l'explosion et éviter que celle-ci ne fracture la voûte. Une seconde petite pièce creusée dans le roc communique avec la précédente par une petite meurtrière. Celle-ci était jadis équipée d'une épaisse vitre et, comme dans le système Séré de Rivière, les soldats n'étaient, en l'absence (et pour cause) d'éclairage électrique, pas autorisés à rentrer dans la poudrière avec la flamme nue d'une

lampe à huile ou à pétrole. Celle-ci était donc installée dans une pièce voisine, sans communication entre les deux, et éclairait la poudrière à travers une meurtrière équipée d'une vitre. Le tout est demeuré dans un parfait état de conservation, et deux portes ont même gardé leurs huisseries (preuve que celles-ci ne remontent pas à la plus haute antiquité).

 

Celles-ci sont couvertes de graffitis de toutes époques, dont le plus ancien, soigneusement gravé au couteau par un certain Jean Calvet (qui ne précise pas s'il était civil ou militaire, et c'est bien dommage) est daté de 1891. La redoute existait donc déjà, mais sans doute pas depuis longtemps. L’armée, à défaut de l’occuper de manière pérenne, est revenue en manœuvres au moins jusqu’en 1905, puisque cette année là un nommé Ferrus y inscrit le souvenir de son passage, en précisant qu’il est de la 3ème compagnie du 24ème colonial.

 

A l'évidence, rien n'est prévu pour héberger des troupes. Ce fortin n'a pas été conçu pour une occupation permanente, et n'a donc jamais reçu de garnison. Il relève de la philosophie du blockhaus, terme qui apparaît dans la construction militaire française dès la fin du XIXème siècle, et constitue donc le dernier maillon de la longue histoire des fortifications de Villefranche. Mais son rôle est clair: les fantassins installés sur les banquettes de tir doivent empêcher l'ennemi de prendre pied sur le plateau comme ce fut le cas en 1793, ou, à tout le moins, ralentir la progression.

 

Reprendre l'itinéraire d'accès jusqu'à la première fourche, et suivre cette fois sur la droite l'indication du "retour vers Corneilla". Le chemin, d'abord phagocyté par la végétation, s'élargit rapidement et devient une piste. Quelques hectomètres plus loin, un panneau indique, à 20 m. sur la droite, la Font de la Perdiu (fontaine de la Perdrix).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Et la plateforme d'artillerie, tournée vers le fort de Villefranche, doit permettre d'en "épouiller" les abords, c'est à dire d'interdire, par un tir fichant, à des ennemis de s'approcher de celui-ci tout en restant à couvert de ses défenseurs. C'est encore cette idéologie qui prédomine à la veille de la guerre de 14/18, et qui conduit au désarmement des forts de Vaux et de Douaumont, au nom de la mobilité. Et c'est à peu près à cette époque qu'un jeune tard aux plus hautes responsabilités: le futur Maréchal Joffre.

 

Débroussaillée dans les années 90 par les bénévoles REMPART, la redoute, alors totalement oubliée et négligée, a fait l'objet depuis d'appréciables travaux d'accessibilité, de sécurisation et d'explication Avant de partir, profiter du panorama et observer notamment, au nord et de part et d'autre du relai de télévision installé sur la crête de l'autre côté de la vallée, les églises romanes de Saint Etienne de Campilles (à gauche) et Saint André de Belloc (à droite). 

 

Celle-ci est en fait, comme ses sœurs de Campilles et Belloc de l'autre côté de la vallée, un de ces points d'eau aménagés par l'armée dans le contexte précité pour permettre de désaltérer les attelages tractant les pièces d'artillerie, et leurs équipages, mais aussi, ici, de ravitailler en eau (nécessaire pour la boisson, mais aussi pour le refroidissement des pièces d'artillerie) la redoute, juste au dessus. Son nom vient probablement du fait que, en l'absence de ruisseau à proximité, les oiseaux avaient pris l'habitude de s'y désaltérer, pour la plus grande joie des chasseurs qui devaient les y attendre. Totalement remblayée (par mesure de sécurité probablement), elle a été dégagée dans les années 90 par les élèves du collège de Prades, dans le cadre d'un chantier REMPART. 

 

Reprendre le chemin et continuer la descente. Au bout de celle-ci, on débouche sur un large plateau, et arrive perpendiculairement sur une piste (carrossable) de DFCI, que l'on prend sur la droite. Après avoir laissé à droite une série de bornes blanches de délimitations de concession minière et à gauche une grande bergerie ruinée, la piste descend doucement jusqu'à un replat à l'entrée d'un vallon planté de pins. Plusieurs panneaux signalent sur la droite un retour possible sur Villefranche en 50 minutes. Continuer néanmoins tout droit. La piste remonte un peu et arrive à un nouveau panneau qui indique sur la droite, à l'entrée d'un second vallon moins prononcé que le précédent, la direction de la "bergerie". On prend donc sur le droite à 90° une nouvelle piste carrossable, qui monte en pente douce et longe une plantation récente

de conifères. Mais il est temps de s'attarder au nom donné à ce plateau.

 

Un peu plus loin sur la piste, l'orri (abri pastoral) d'En Bulla est indiqué (avec une précision sur laquelle nous reviendrons : "bergerie romane) à quelque décamètres sur la gauche, et un peu plus haut.

 

Celui-ci se trouve écrit sous toutes les graphies possibles. Nous écarterons à priori celles correspondant à une transposition phonétique française, avec une terminaison en "at", un "y" ou "ill", "ou" remplaçant le "u" catalan, "m" précédant le b, et article "les": les Ambouillats ou les Ambouyats. Il reste donc En Bulla. Le préfixe En (monsieur, comme Na madame), que l'on retrouve fréquemment, comme la tour d'En Solennell à Villefranche, renvoyant à un nom de propriétaire, ou à celui d'une personne ayant marqué l'histoire de l'endroit, nous en déduirons prudemment qu'un certain Bulla, lequel n'a pas laissé plus de trace dans la mémoire locale que Solennell, a jadis possédé ce terrain, à une époque indéterminée. Mais si quelqu'un peut nous apporter une autre interprétation argumentée, qu'il veuille bien nous écrire.

 

Le plateau d'En Bulla a été  occupé dès l'époque néolithique, comme terrain de chasse et de cultures, la population trouvant refuge dans les nombreuses grottes qui s'ouvrent juste au dessous du rebord de la falaise calcaire, et dont certaines ont livré du matériel archéologique tandis que d'autres attendent encore d'être fouillées. Jusque à une époque récente, il a continué à être cultivé mais, au XIXème siècle, la baisse de la ressource hydrique, conséquence au moins en partie d'un déboisement intensif, a fait disparaître les plantations au profit de l'élevage ovin. Au XXème siècle, son sous-sol a été temporairement exploité pour le manganèse d'abord (évacué jusqu'à la gare de Villefranche par un plan incliné), le talc ensuite (transporté par camion vers Taurinya). On voit encore un peu plus loin quelques vestiges de ces exploitations, dont une carrière.

 

L’orri, dans son domaine, l'un des plus connus du département, et il le mérite tant son architecture est remarquable. Rappelons qu'il s'agit, en cas d'intempéries, d'un abri pour le troupeau. Une couche d'humus recouvert de végétation assurait l'étanchéité du toit (une rampe aménagée contre la paroi latérale permettait d'entretenir cette couverture), et l'épaisseur considérable des murs en pierre sèche, s'ajoutant à l'absence d'ouvertures autre que la porte et quelques très étroites ouïes d'aération, et à la chaleur corporelle des moutons entassés, maintenait une température intérieure élevée quel que fut le froid extérieur. Le berger, quant à lui, occupait un refuge plus classique, probablement équipé d'une cheminée, et dont on aperçoit les ruines à proximité. Entre ce refuge et la bergerie, un étroit passage permettait sans doute le comptage et la sélection des moutons.

 

L'habitude veut qu'on attribue toujours aux mêmes acteurs d'un passé héroïsé les constructions dont l'âge et l'usage sont hypothétiques. Ici, les romains, les maures, les Templiers et Vauban étant écartés à priori pour d'évidentes raisons, il reste encore, selon les documents les "hommes préhistoriques" où les "bâtisseurs romans". Nous saluerons, en passant, la prudence dont a fait preuve l'auteur du texte d'explication installé à proximité. En fait, et même si l'occupation néolithique du plateau ne fait pas de doute pas plus que son exploitation médiévale, cette cabane remonte très probablement au XIXème siècle, époque où, après le retrait des cultures traditionnelles pour des raisons d'assèchement évoquées plus haut, mais aussi de l'essor démographique, l'élevage du mouton s'est généralisé. Le surpâturage a d'ailleurs fini d'achever une déforestation déjà engagée de longue date pour d'autres raisons (fourniture de charbon de bois pour la sidérurgie, notamment), et les photographies de la fin du XIXème siècle donnent des alentours de Villefranche l'image d'un relief pelé et aride évoquant le désert syrien autour du Krak des Chevaliers. D'ailleurs, l'architecture si originale de cet orri se rencontre en de nombreux autres endroits du Conflent, et notamment à la cabane de la Val Pomera ou à celle de Sansa. La question se pose donc de savoir si, compte tenu de l'ingéniosité et de la complexité technique de cette construction, un unique (et inconnu de nos jours) maître d'ouvrage a été sollicité par divers éleveurs de la vallée, ou si un modèle, et lequel, a servi de référence aux autres réalisations. En l'absence de toute étude, et même de tout recensement exhaustif, la question demeure posée.

 

Car cet orri est étonnant. Si, de l'extérieur, l'ensemble est massif et ressemble peu ou prou à un bateau à fond plat qui aurait été renversé, l'intérieur révèle une voûte plate soutenue par de superbes piliers engagés s'évasant de la base vers le haut suivant un tracé rigoureux, et répartissant ainsi le poids énorme de cette massive construction en pierre sèche, tout en libérant un espace central dépourvu de supports intermédiaires. Mais, prévue pour les moutons, cette salle était dépourvue de cheminée. Vers le milieu du XXème siècle, certains occupants occasionnels ont jugé bon d'y remédier en brisant quelques dalles plates de la couverture pour y aménager une évacuation de fortune de la fumée des feux de camp qu'ils y pratiquaient. Cela a déstabilisé l'ouvrage et failli entrainer sa perte jusqu'à ce que, dans les années 80, les bénévoles REMPART ne rétablissent l'édifice dans sa disposition initiale. C'est eux qui ont, entre autres, remplacé le linteau en bois pourri de la porte par quatre traverses de chemin de fer, que l'on aura du mal à faire remonter au Moyen-Age, ni, a fortiori, à la préhistoire.

 

Redescendre dans le vallon et reprendre la piste sur la gauche. Au moment où celle-ci s'interrompt devant une clôture, suivre, sur la droite, un sentier qui grimpe directement sur la croupe voisine, et conduit à un emplacement sécurisé par une robuste balustrade, en bordure de falaise, d'où l'on bénéficie d'une vue extraordinaire sur Villefranche de Conflent, comme observée depuis un avion.

 

Après avoir pris le temps d'apprécier cet exceptionnel panorama, redescendre sur le plateau par le même chemin qu'à l'aller, et revenir en arrière jusqu'aux panneaux, précédemment repérés, indiquant, cette fois sur la gauche, Villefranche à 50 mn. Le chemin qui s'engage dans une agréable pinède n'est pas très visible à son départ, mais il s'affirme rapidement et descend en pente douce dans le vallon. Il aboutit un peu plus loin au premier carrefour avec, sur sa droite, la branche conduisant à la redoute. Continuer tout droit : Villefranche est tout en bas, et dispose d'un large choix de bars, restaurants, alimentations, boutiques de souvenirs, et d'une boulangerie.

 

C’est à quelques mètres sur la droite que, les 3 et 4 août 1793, les artilleurs du général espagnol Crespo dont 8 000 hommes de troupe remontaient la vallée de la Têt, installèrent une batterie de 4 pièces de 12 et 2 obusiers, acheminés sans trop de difficultés depuis Sirach, et battant à loisir Villefranche sans s’exposer au moindre risque de tir en riposte des pièces de la ville et du fort, situées beaucoup trop bas.

 

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